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LE BOUTE-CHARGE

de caractère naissent des amitiés profondes. Bernard et Fend-l’Air étaient deux entités semblables ; l’homme et le cheval se complétaient l’un par l’autre. Ils se comprirent et s’aimèrent du premier jour. Tout autre cavalier répugnait à Fend-l’Air ; tout autre cheval fut indifférent à Bernard.

C’était un Breton de race, un de ces paysans saturés des poésies de la terre gaélique, portant sur le front grave, au fond des yeux songeurs, l’austère mélancolie du sol armoricain. Sans parents, sans amis, il était assez triste, taciturne, se livrant peu, mais, à l’occasion, se donnant tout entier. Au régiment, sa franchise eût pu lui faire de nombreux amis. Mais un je ne sais quoi d’un peu inquiétant qu’il avait sur le masque glaçait les avances ; dans cette foule de jeunes, prête à toutes les bonnes camaraderies, il demeura solitaire. Sa rencontre, — j’allais dire sa conjonction — avec Fend-l’Air lui fut un bonheur. Il avait jusque-là vécu isolé, au jour le jour, comprenant vaguement à quelle grande école il se trouvait, mais trop peu