Mais lui, plus exaspéré encore : « Il ose le demander, dit-il ; c’est de moi qu’il veut apprendre sa conduite infâme ! » À ces mots, il me tourne le dos et retourne en toute hâte auprès de Déménète. Celle-ci n’était pas encore assouvie ; aussi machina-t-elle contre moi une nouvelle perfidie : elle avait une servante nommée Thisbé, assez habile à chanter en s’accompagnant de la harpe, et d’un extérieur agréable. Elle la détache contre moi, et lui ordonne de m’aimer. Thisbé est aussitôt éprise de moi ; celle qui avait bien souvent repoussé mes entreprises met alors tout en œuvre pour m’attirer à elle : regards, gestes, signes d’intelligence. Moi sot, je me persuade que je suis devenu tout-à-coup un beau jeune homme, et à la fin je la reçois, la nuit, dans ma chambre à coucher. Elle y revient une seconde fois, puis une troisième, si bien qu’elle n’en quittait plus. Un jour que je la pressais vivement de se tenir sur ses gardes, pour n’être point surprise par sa maîtresse : « Ô Cnémon, me dit-elle, tu me sembles par trop simple ; si tu crois si dangereux pour moi, qui ne suis qu’une servante achetée à prix d’argent, d’être surprise couchée avec toi, de quel châtiment crois-tu digne celle qui, tout en se targuant de son rang, vit avec un amant, sans être retenue ni par la possession d’un mari légitime, ni par la peine de mort qu’elle sait être réservée à l’adultère ? — Tais-toi, lui dis-je, je ne saurais te croire. — Eh bien ! si tu le veux, je te ferai surprendre le galant sur le fait. — Soit, dis-je, si tu le veux. — Sans doute, je le veux, reprit-elle, et à cause de toi à qui elle a fait une si cruelle injure, et pour moi-même qu’elle maltraite indignement et qu’elle rend chaque jour victime de sa jalousie sans raison. Si tu es un homme, surprends-les. »
XII. » Lorsque je le lui eus promis, elle me laissa et partit. La troisième nuit après cette confidence, elle vient m’éveiller tout-à-coup et m’apprend que l’amant est à la maison : « Ton père, ajoute-t-elle, est parti