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LUCIUS.


demain, au point du jour, on me banda les yeux et on m’attela au bras d’une meule. Je savais trop bien comment il fallait moudre, ayant souvent fait ce métier ; pourtant je feignis de n’y rien entendre : mais, vain espoir ! Toute la gent meunière s’arme de bâtons, m’entoure sans que je m’en doute (car je n’y voyais goutte), et commence à me dauber à tour de bras, si bien que je me mets tout d’un trait à tourner comme une toupie. J’appris ainsi à mes dépens que l’esclave ne doit pas, pour faire sa besogne, attendre la main du maître.

XLIII. Cependant je maigrissais à vue d’œil et je devins bientôt si chétif que le boulanger résolut de se défaire de moi. H me vendit à un pauvre homme qui avait pris à ferme un jardin à cultiver. Voici en quoi consistait notre besogne : mon maître me chargeait le matin de légumes qu’il portait au marché ; puis, lorsqu’il avait livré sa marchandise aux revendeurs, il me ramenait au jardin. Il se mettait alors à bêcher, à planter, à arroser, et pendant tout ce temps je n’avais qu’à regarder. Mais la vie que je menais alors n’en était pas moins des plus rudes : d’abord on était en hiver, et le pauvre homme n’avait pas de quoi acheter une couverture pour lui, à plus forte raison pour moi. Avec cela il me fallait aller nu-pieds dans la boue, marcher sur des glaçons durs et pointus ; enfin nous n’avions l’un et l’autre pour nourriture que de mauvaises laitues dures et amères.

XLIV. Un jour que nous allions au jardin, nous rencontrons un homme en costume de soldat, fier de tournure, qui commence à nous parler en latin et demande au jardinier oh il va avec cet âne. L’autre, qui ne savait pas le latin, je suppose, ne dit mot. Alors le soldat, se croyant méprisé, se met en colère, et lui administre bon nombre de coups de fouet. Le jardinier le saisit au corps, l’enlève de terre et l’étend sur la route ; puis, le tenant terrassé, il le frappe du poing,