Aller au contenu

Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
LE SANG

II


À l’aube, Elberg en arrivant éveilla Gneuss qui dormait, la tête sur une pierre.

― Ami, dit-il, je me suis égaré dans les buissons, et, comme je m’étais assis au pied d’un arbre, le sommeil m’a surpris. L’ange des rêves est venu se pencher sur mon front, et les yeux de mon âme ont vu se dérouler des scènes étranges, dont le réveil n’a pu dissiper le souvenir.

Le monde était à son enfance. Le ciel semblait un immense sourire, et la terre, vierge encore, s’épanouissait aux rayons de mai, dans sa chaste nudité. Le brin d’herbe verdissait, plus grand que le plus grand de nos chênes ; les arbres balançaient dans l’air des feuillages qui nous sont inconnus. La sève coulait largement dans les veines du monde, et le flot s’en trouvait si abondant que, ne pouvant se contenter des plantes, il ruisselait dans les entrailles des roches et leur donnait la vie.

Les horizons s’étendaient calmes et rayonnants. La sainte nature s’éveillait, et, comme l’enfant qui s’agenouille au matin et remercie Dieu de la lumière, elle épanchait vers le ciel tous ses parfums et toutes ses chansons, parfums pénétrants, chansons ineffables, que