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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/109

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LE SANG

Celle-ci, pleurant son abandon, expirait sur le rivage, les yeux fixés sur les flots qui avaient emporté son cœur ; celle-là, assassinée entre les bras de l’amant, et, tous deux, ils s’envolaient, emportés dans une éternelle étreinte.

Plus loin, des hommes, las d’ombre et de misère, envoyaient leurs âmes trouver dans un monde meilleur une liberté vainement cherchée sur cette terre.

Partout, les pieds des rois laissaient sur les dalles de sanglantes empreintes. Celui-ci a marché dans le sang de son frère ; celui-là, dans le sang de son peuple ; cet autre, dans le sang de son Dieu. Leurs pas rouges sur la poussière faisaient dire à la foule : Un roi a passé là.

Les prêtres égorgeaient les victimes, et, penchés stupidement sur leurs entrailles palpitantes, prétendaient y lire les secrets du ciel. Ils portaient des épées sous leurs robes et prêchaient la guerre au nom de leur Dieu. Les peuples, à leur voix, se ruant les uns sur les autres, et se dévoraient pour la glorification du Père commun.

L’humanité entière était ivre ; elle battait les murs et glissait sur les dalles souillées d’une boue hideuse. Les yeux fermés, tenant à deux mains un glaive à double tranchant, elle frappait dans la nuit et massacrait.

Un souffle humide de carnage passait sur la foule ; un brouillard rougeâtre s’épaississait autour d’elle. Elle courait, emportée dans une ronde effrayante, et se