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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/111

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LE SANG

flancs, roides et unis, s’élevaient, pareils aux murs d’une ville cyclopéenne, et faisaient de l’enceinte un puits gigantesque dont la largeur emplissait l’horizon.

Et ce puits, dans lequel tombait le ruisseau, était plein de sang. La mer épaisse et tranquille montait lentement de l’abîme. Elle semblait dormir dans son lit de rochers, et le ciel la reflétait en nuées de pourpre.

Alors je compris que là se rendait tout le sang versé par la violence. Depuis le premier meurtre, chaque blessure a pleuré ses larmes dans ce gouffre, et les larmes y ont coulé si abondantes que le gouffre s’est empli.

― J’ai vu, cette nuit, dit Gneuss, un torrent qui allait se jeter dans ce lac maudit.

― Frappé d’horreur, reprit Clérian, je m’approchai du bord, sondant du regard la profondeur des flots. Je reconnus à leur bruit sourd qu’ils s’enfonçaient jusqu’au centre de la terre, et, mon regard s’étant porté sur les rochers de l’enceinte, je vis que le flot en gagnait les cimes. La voix de l’abîme me cria : « Le flot qui monte, montera toujours et atteindra les sommets. Il montera encore, et alors un fleuve échappé du terrible bassin se précipitera dans les plaines. Les montagnes, lasses de lutter avec la vague, s’affaisseront. Le lac entier s’écroulera sur le monde, et l’inondera. C’est ainsi que des hommes qui naîtront, mourront noyés dans le sang versé par leurs pères. »

― Le jour est proche, dit Gneuss : les vagues étaient hautes, la nuit dernière.