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LE SANG

Le sol brûlait, et je ne pus subir son supplice ; je montai l’attendre sous un arbre, au sommet de la colline. Alors je reconnus qu’il portait une croix. À sa couronne, à sa robe pourpre tachée de boue, je crus comprendre que c’était là un roi, et j’eus grande joie de sa souffrance.

Des soldats le suivaient, pressant sa marche du fer de leur lance. Arrivés sur la roche la plus élevée, ils le dépouillèrent de ses vêtements, ils le couchèrent sur l’arbre sinistre.

L’homme souriait tristement. Il tendit les mains grandes ouvertes aux bourreaux ; les clous y firent deux trous sanglants. Puis, rapprochant ses pieds l’un de l’autre, il les croisa, et un seul clou suffit.

Couché sur le dos, il se taisait et regardait le ciel. Deux larmes coulaient lentement sur ses joues, larmes qu’il ne sentait pas et qui se perdaient dans le sourire résigné de ses lèvres.

La croix fut dressée, le poids du corps agrandit horriblement les blessures, et j’entendis les os se briser. Le crucifié eut un long frisson. Puis, il se remit à regarder le ciel.

Moi, je le contemplais, et, voyant sa grandeur dans la mort, je disais : « Cet homme n’est pas un roi. » Alors j’eus pitié et je criai aux soldats de le frapper au cœur.

Une fauvette chantait sur la croix. Son chant était triste et parlait à mes oreilles comme la voix d’une vierge en pleurs.