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LES VOLEURS ET L’ÂNE

qui les apportait. Aujourd’hui, les cœurs de vingt ans les cherchent et pleurent de ne pouvoir les trouver.

Me faut-il te mentir à mon tour, ma bien-aimée, en les demandant au ciel, ou dois-je plutôt avouer que je les ai rencontrées en enfer ? Si là, près du foyer, dans ce fauteuil où tu te berces, un ami m’écoutait, comme je lèverais hardiment le voile d’or dont le poète a paré des épaules indignes ! Mais toi, tu me fermerais la bouche de tes petites mains, tu te fâcherais et tu crierais au mensonge, pour trop de vérité. Comment pourrais-tu croire aux amoureux de notre âge qui boivent au ruisseau, quand la soif les surprend dans la rue ? Quelle serait ta colère, si j’osais te dire que tes sœurs, les amantes, ont dénoué leurs fichus et qu’elles se sont échevelées ! Tu vis, riante et sereine, dans le nid que j’ai bâti pour toi ; tu ignores comment va le monde. Je n’aurai pas le courage de t’avouer que les fleurs en sont bien malades, et que demain peut-être les cœurs y seront morts.

Ne bouchez pas vos oreilles, mignonne : vous n’aurez point à rougir.



II


Léon vit donc en plein quartier Latin. Sa main est la plus serrée dans ce pays où toutes les mains se connaissent. Il est loyal et sincère, et la franchise de son regard lui fait un ami de chaque passant.