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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/123

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LES VOLEURS ET L’ÂNE

Les femmes n’osent lui pardonner la haine qu’il leur témoigne, et sont furieuses de ne pouvoir avouer qu’elles l’aiment. Elles le détestent tout en l’adorant.

Avant les faits que je vais te conter, je ne lui ai jamais connu de maîtresse. Il se dit blasé et parle des plaisirs de ce monde, comme en parlerait un trappiste, s’il rompait son long silence. Il est sensible à la bonne chère et ne peut souffrir un mauvais vin. Son linge est d’une grande finesse, ses vêtements sont toujours d’une exquise élégance.

Je le vois souvent s’arrêter devant les vierges de l’école italienne, les yeux humides et rêveurs. Un beau marbre lui donne une heure d’extase.

D’ailleurs, Léon mène la vie d’étudiant, travaillant le moins possible, flânant au soleil et s’oubliant sur tous les divans qu’il rencontre. C’est surtout durant ces heures de demi-sommeil, qu’il déclame ses plus grosses injures contre les femmes. Les yeux fermés, il paraît caresser une vision, en maudissant le réel.

Un matin de mai, je le rencontrai, l’air triste et ennuyé. Il ne savait que faire et marchait dans la rue en quête d’aventures. Les pavés étaient fangeux, et l’imprévu ne se présentait de loin en loin aux pieds du promeneur que sous la forme d’une flaque d’eau. J’eus pitié de lui et je lui proposai d’aller voir aux champs si l’aubépine fleurissait.

Pendant une heure, il me fallut subir de longs discours philosophiques concluant tous au néant de nos joies. Peu à peu, cependant, les maisons deve-