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LES VOLEURS ET L’ÂNE

tînmes conseil. La décision fut touchante d’unanimité : nous devions nous rendre au village ; là, nous procurer un grand panier ; ce panier serait convenablement empli de plats et de bouteilles ; enfin tous trois, le panier et nous, nous gagnerions l’île la plus verte.

Vingt minutes après, nous n’avions plus qu’à trouver un canot. Je m’étais obligeamment chargé de la corbeille ; je dis corbeille, et le terme est encore modeste. Léon marchait en avant demandant une barque à chaque pêcheur. Les barques étaient toutes en campagne. J’allais proposer à mon compagnon de dresser notre table sur le continent, lorsqu’on nous indiqua un loueur qui peut-être nous contenterait.

Le loueur habitait, au bout du village, une cabane bâtie à l’angle de deux rues. Or, il arriva qu’en tournant cet angle nous nous trouvâmes de nouveau face à face avec mademoiselle Antoinette, suivie de ses deux amoureux. L’un, comme moi, pliait sous le poids d’un énorme panier ; l’autre, comme Léon, avait l’air effaré d’un homme cherchant et ne trouvant pas. J’eus un regard de pitié pour le pauvre diable qui suait, et Léon sembla me remercier d’avoir accepté un fardeau qui fit rire un peu méchamment la jeune femme.

Le loueur fumait, debout sur le seuil de sa porte. Depuis cinquante ans, il avait vu des milliers de couples lui venir emprunter ses rames pour gagner le désert. Il aimait ces blondes amoureuses qui, parties les fichus empesés, revenaient, un peu chiffonnées et les rubans en grand désordre. Il leur souriait au retour,