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LES VOLEURS ET L’ÂNE

lorsqu’elles le remerciaient de ses barques qui connaissaient si bien et gagnaient d’elles-mêmes les îles aux herbes les plus hautes.

Le brave homme vint à nous, en apercevant nos paniers.

― Mes enfants, nous dit-il, je n’ai plus qu’un canot et, je le vois, il en faut deux. Que ceux qui ont trop faim aillent s’attabler là-bas, sous les arbres.

Cette phrase était, certes, très maladroite : on n’avoue jamais devant une femme qu’on a trop faim. Nous nous taisions, indécis et n’osant plus refuser la barque. Antoinette, toujours railleuse, eut cependant pitié de nous.

― Ces messieurs, dit-elle en s’adressant à Léon, nous ont déjà cédé le pas ce matin ; nous le leur cédons à notre tour.

Je regardai mon philosophe. Il hésitait et balbutiait, comme quelqu’un qui n’ose dire sa pensée. Quand il vit mes yeux se fixer sur lui :

― Mais, dit-il vivement, le dévouement n’a que faire ici : un seul canot peut nous suffire. Ces messieurs nous déposeront dans la première île venue et nous reprendront au retour. Acceptez-vous cet arrangement, messieurs ?

Antoinette répondit qu’elle acceptait. Les paniers furent soigneusement déposés au fond de la barque. Je me plaçai tout contre le mien, le plus loin possible des rames. Antoinette et Léon, ne pouvant sans doute faire autrement, s’assirent côte à côte sur le banc resté libre. Quant aux deux amoureux, luttant toujours