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LES VOLEURS ET L’ÂNE

de bonne humeur et de galanterie, ils saisirent les rames dans un fraternel accord.

Ils gagnèrent le courant. Là, comme ils maintenaient la barque, la laissant descendre au fil de l’eau, mademoiselle Antoinette prétendit qu’en amont de la rivière les îles étaient plus désertes et plus ombreuses. Les rameurs se regardèrent, désappointés ; ils firent tourner le canot, ils remontèrent péniblement, luttant contre le flot rapide en cet endroit. Il est une tyrannie bien lourde et bien douce : c’est le désir d’un tyran aux lèvres roses, qui peut, dans un de ses caprices, demander le monde et le payer d’un baiser.

La jeune femme s’était penchée, plongeant sa main dans l’eau. Elle l’en retirait toute pleine ; puis, rêveuse, semblait compter les perles qui s’échappaient de ses doigts. Léon la regardait faire, se taisant, mal à l’aise de se sentir aussi près d’une ennemie. Il ouvrit deux fois les lèvres, sans doute pour dire quelque sottise ; mais il les referma vite, voyant que je souriais. D’ailleurs, ni lui ni elle ne paraissaient faire grand cas de leur voisinage. Ils se tournaient même un peu le dos.

Antoinette, las de mouiller ses dentelles, me parla de son chagrin de la veille. Elle me dit s’être consolée. Mais elle était encore bien triste. Aux jours d’été, elle ne pouvait vivre sans amour. Elle ne savait que faire en attendant l’automne.

― Je cherche un nid, ajouta-t-elle. Je le veux tout de soie bleue. On doit aimer plus longtemps, lorsque meubles, tapis et rideaux ont la couleur du ciel. Le