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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/133

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LES VOLEURS ET L’ÂNE

traîner nos misères dans mon nid. J’y voudrais vivre libre, insouciante, non pas toujours, mais quelques bonnes heures, chaque soir d’été. Les hommes, s’ils devenaient anges, se fatigueraient de Dieu lui-même. Je sais ce qu’il en est. C’est moi qui aurais la clef du paradis dans la poche.

Une seconde île verdoyait devant nous, Antoinette battit des mains. C’était bien le plus charmant petit désert qu’un Robinson pût rêver à vingt ans. La rive, un peu haute, était bordée de grands arbres, entre lesquels les églantiers et les herbes luttaient de croissance. Un mur impénétrable se bâtissait là chaque printemps, mur de feuilles, de branches, de mousses, qui se grandissait encore en se mirant dans l’eau. Au dehors, un rempart de rameaux enlacés ; au dedans, on ne savait. Cette ignorance des clairières, ce large rideau de verdure qui tremblait au vent, sans jamais s’écarter, faisaient de l’île une retraite mystérieuse, que le passant des rives voisines peuplait volontiers des blanches filles de la rivière.

Nous tournâmes longtemps autour de cet énorme bouquet de feuillage, avant de trouver un port. Il semblait ne vouloir pour habitants que les oiseaux libres. Enfin, sous une grande broussaille s’avançant au-dessus de l’eau, nous pûmes prendre pied. Antoinette nous regarda descendre. Elle allongeait la tête, essayant de voir au delà des arbres.

L’un des rameurs qui maintenait la barque en se tenant à une branche, lâcha prise. Alors la jeune femme,