Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
LES VOLEURS ET L’ÂNE

Les deux amoureux s’étaient empressés de prendre place aux côtés de la jeune femme. Ils prévenaient ses désirs. Pour un morceau qu’elle demandait, elle en recevait régulièrement deux. Elle mangeait d’ailleurs de grand appétit.

Léon, au contraire, mangeait peu, nous regardant dévorer. Forcé de s’asseoir près de moi, il se taisait, il m’adressait un regard moqueur, chaque fois qu’Antoinette souriait à ses voisins. Comme elle prenait des deux côtés, elle tendait les mains, à droite et à gauche, avec une égale complaisance, remerciant chaque fois de sa voix douce. Ce que voyant, il me faisait de grands signes que je ne comprenais point.

Décidément, la jeune femme était, ce jour-là, d’une coquetterie désespérante. Les pieds repliés sous ses jupes, elle disparaissait presque dans l’herbe ; un poëte l’eût volontiers comparée à une grande fleur qui aurait eu le don du regard et du sourire. Elle, si naturelle d’ordinaire, avait des mouvements mutins, des minauderies dans la voix que je ne lui connaissais pas. Les amoureux, confus de ses bonnes paroles, se regardaient d’un air triomphant. Moi, étonné de cette coquetterie soudaine ; voyant par instant la maligne rire sous cape, je me demandais lequel de nous transformait cette fille simple en rusée commère.

Le gazon commençait à se dégarnir. On riait plus qu’on ne parlait. Léon changeait de place à chaque instant, ne se trouvant bien à aucune. Comme il