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LES VOLEURS ET L’ÂNE

L’autre, fâché de l’attention accordée à son camarade, se pencha vers moi. Pour m’obliger à prêter l’oreille, il me fit une grosse confidence.

― Je veux être franc avec vous, me dit-il : Antoinette m’aime. Je plains sincèrement ses autres adorateurs.

À ce moment, j’entendis un bruit singulier ; il partait du buisson sous lequel Léon et Antoinette s’abritaient. Je ne sus si c’était un baiser ou le petit cri d’une fauvette effarouchée.

Cependant, mon voisin de droite avait surpris mon voisin de gauche me disant qu’Antoinette l’aimait. Il se souleva, le regarda d’un air menaçant. Je me laissai glisser entre eux, je gagnai sournoisement une haie derrière laquelle je me blottis. Alors, ils se trouvèrent face à face.

Ma broussaille était admirablement choisie. Je voyais Antoinette et Léon, sans entendre toutefois leurs paroles. Ils babillaient toujours ; seulement, ils paraissaient plus près l’un de l’autre. Quant aux amoureux, je me trouvais à leurs pieds, et je pus suivre leur querelle. La jeune femme leur tournant le dos, ils étaient furieux tout à leur aise.

― Vous avez mal agi, disait l’un ; voici deux jours que vous auriez dû vous retirer. N’avez-vous pas l’esprit de le voir ? c’est moi qu’Antoinette préfère.

― En effet, répondit l’autre, je n’ai point cet esprit-là. Mais vous avez la sottise, vous, de prendre comme vous appartenant les sourires et les regards qu’on m’adresse.