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SŒUR-DES-PAUVRES

avis que les gros sous avaient en eux quelque vertu secrète qui aida au miracle ; car ils n’étaient pas comme les premiers sous venus, qui consentent à payer chiffons et festins, et ils montraient bien à l’occasion ne vouloir appartenir à de méchants cœurs ; ils étaient fortune à rendre charitable, et dirigeaient la main de ceux qui les possédaient. Ah ! les braves gros sous n’ayant point la morne stupidité de nos laides pièces d’or et d’argent !

Guillaume et Guillaumette baisaient Sœur-des-Pauvres du matin au soir. Dans l’abord, ils lui évitaient toute fatigue et se fâchaient dès qu’elle parlait de travail. Il était aisé de voir qu’ils souhaitaient en faire une belle demoiselle, avec de petites mains blanches, bonnes à nouer des rubans. « Fais-toi fière, lui disaient-ils chaque matin, et ne te chagrine du reste. » Mais la fillette ne l’entendait point ainsi ; elle serait morte de tristesse, à rester assise tout le long du jour, sans autre besogne que de regarder filer les nuages ; ses richesses lui étaient une moindre distraction que de frotter ses meubles de chêne et de tirer soigneusement ses draps de fine toile. Elle prenait donc du plaisir à sa guise, répondant à ses parents : « Laissez, je suis chaudement vêtue et n’ai que faire de dentelle ; j’aime mieux souci de ménage que souci de toilette. »

Et elle disait cela si sagement, que Guillaume et Guillaumette comprirent qu’elle avait une grande raison. Ils ne la contrarièrent plus dans ses goûts. Ce fut fête pour elle. Elle se leva, ainsi qu’autrefois, à cinq