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SŒUR-DES-PAUVRES

trente bottes de paille. Elle préférait de beaucoup cette paille, récompense du travail, à cette monnaie qu’elle entassait sans grand mérite. Aussi, peu à peu, en vint-elle à se sentir un profond dédain pour cette sorte de richesse, bonne à dormir dans les coffres des avares, ou encore à s’user aux mains des trafiquants des villes.

Elle était si lasse de cette fortune incommode, qu’un matin elle se décida à la faire disparaître. Elle avait conservé le petit sac qui dévorait les gros sous d’une façon si aisée ; il fit son devoir en conscience et nettoya proprement le grenier. Sœur-des-Pauvres agit de ruse, car elle se garda de mettre au fond le sou de la mendiante ; de sorte que l’argent s’en alla bel et bien, sans avoir la tentation de revenir.

Ainsi, elle prit soin de ne pas devenir trop riche, sentant qu’il y avait là danger pour le cœur. Elle donna peu à peu une partie de ses terres, qui étaient trop vastes pour nourrir une seule famille. Elle mesura son revenu à ses besoins. Puis, comme les bons bras ne manquaient pas à la ferme, lorsque, malgré elle, les sous s’amassaient au grenier, elle y montait en cachette, et s’appauvrissait à plaisir. Pour assurer son contentement, elle garda toute sa vie la bourse enchantée, qui donnait si largement aux heures de détresse, et qui, aux heures de fortune, ne savait plus que prendre.

Sœur-des-Pauvres avait un autre souci. Le cadeau de la pauvresse l’embarrassait, et elle s’effrayait du pouvoir qu’il lui donnait ; car, lors même qu’on ne