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SŒUR-DES-PAUVRES

doute pas de soi, il y a plus de gaieté de cœur à se sentir humble que puissant. Elle l’eût volontiers jeté à la rivière ; mais un méchant pouvait le trouver dans le sable et en user au dommage de chacun ; et, certes, s’il employait à faire le mal la moitié de l’argent qu’elle avait dépensé en bonnes œuvres, il n’est point douteux qu’il ne ruinât le pays. Aussi comprit-elle alors que la mendiante ait longtemps cherché avant de donner son aumône : c’était là un cadeau faisant la joie ou le désespoir d’un peuple, selon la main qui le recevait.

Elle garda le sou, et, comme il était percé, elle se le pendit au cou, à l’aide d’un ruban : ainsi elle ne pouvait le perdre. Mais cela la chagrinait de le sentir sur sa poitrine, et elle eût tout fait au monde pour retrouver la pauvresse. Elle l’aurait priée de reprendre ce dépôt, trop lourd pour être longtemps gardé, et de la laisser vivre en bonne fille, ne faisant d’autres miracles que des miracles de travail et de joyeuse humeur.

Or, l’ayant vainement cherchée, elle désespérait de jamais la rencontrer.

Un soir, passant devant l’église, elle entra faire un bout de prière. Elle alla tout au fond, dans une petite chapelle qu’elle aimait pour son ombre et son silence ; les vitraux, d’un bleu sombre, éclairaient les dalles comme d’un reflet de lune ; la voûte, un peu basse, n’avait pas d’écho. Mais, ce soir-là, la petite chapelle était en fête. Un rayon égaré, après avoir traversé la nef, donnait en plein sur l’humble autel, allumant dans les ténèbres le cadre doré d’un vieux tableau.