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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/272

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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

commune, et les caressait, chacune selon le mérite. Elle ne leur tenait pas elle-même de longs discours, mais les excitait à des discussions amicales, sur des cas délicats de fraternité et d’abnégation, encourageant les orateurs bien pensants et réprimandant avec bonté ceux qui élevaient un peu trop la voix. Son but était de les confondre peu à peu en un même peuple ; elle espérait faire perdre à chaque espèce sa langue et ses habitudes, et les conduire toutes insensiblement à une unité universelle, en brouillant pour elles, par un continuel contact, leurs diverses façons de voir et d’entendre. Ainsi elle posait les faibles sous les pattes des forts, et amenait à converser entre eux la cigale, au cri aigre, et le taureau, ronflant à pleins naseaux ; elle logeait à côté des lévriers les lièvres et les perdrix, et les renards, au beau milieu des poules. Mais la mesure qu’elle pensa la plus habile fut de servir dans les écuelles de tous une même nourriture. Cette nourriture ne pouvant être ni chair ni poisson, l’ordinaire se composa pour chacun d’une écuelle de lait par jour, plus ou moins profonde, selon l’appétit du pensionnaire.

Tout se trouvant réglé de la sorte, l’aimable Primevère attendit les résultats. Ils ne pouvaient manquer d’être bons, pensait-elle, puisque les moyens employés étaient excellents en eux-mêmes. Les hommes de son royaume se déclaraient de plus en plus heureux, se fâchant dès qu’un philanthrope cherchait à leur démontrer leur misère. Les bêtes, au contraire, avouaient