Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
AVENTURES DU GRAND SIDOINE

dix pas, il reconnut que le vieillard n’avait guère plus de quarante ans ; l’âge ne pouvait avoir flétri ses traits ni blanchi ses cheveux. Assurément, le malheureux mourait de faim, à voir sa face pâle et la faiblesse qui alanguissait ses membres.

— Mon frère Médéric, dit Sidoine, offre donc ma pêche à cet indigent. Je ne puis comprendre comment il manque de tout, couché dans le velours et la soie. Mais il a si mauvaise mine que ce ne peut être qu’un pauvre.

Médéric pensait comme son mignon.

— Monsieur, dit-il poliment à l’homme de la litière, vous n’avez sans doute pas mangé ce matin. La vie a ses hasards.

L’homme ouvrit les yeux à demi.

— Depuis dix ans, je ne mange plus, répondit-il.

— Que disais-je ! s’écria Sidoine. L’infortuné !

— Hélas ! reprit Médéric, ce doit être une double souffrance, de manquer de pain au milieu de ce luxe qui vous entoure. Tenez, mon ami, prenez cette pêche et apaisez votre faim.

L’homme n’ouvrit pas même les yeux. Il haussa les épaules.

— Une pêche, dit-il, voyez si mes porteurs ont soif. Ce matin, mes servantes, de belles filles aux bras nus, se sont agenouillées devant moi, m’offrant leurs corbeilles, pleines des fruits qu’elles venaient de cueillir dans mes vergers. L’odeur de toute cette nourriture m’a fait mal.