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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/308

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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

Un grognement d’approbation l’interrompit.

— Je n’ai que faire, reprit-il, de vous présenter le délicieux tableau des récompenses qui attendent nos efforts. Nous formerons un seul peuple dans l’avenir, nous aurons une seule langue, et une suprême joie naîtra pour chacun de n’être plus soi et d’ignorer qui on est. Vous dites-vous bien le charme de cette heure où il n’existera plus de races, où toutes les bêtes auront une pensée unique, un même goût, un même intérêt ? Ô mes amis, le beau jour, et combien il sera gai !

Un nouveau grognement témoigna de l’unanime satisfaction de l’assemblée.

— Puisque nous hâtons de nos vœux la venue de ce jour, continua le lion, il serait urgent de prendre des mesures pour que nous puissions le voir se lever. Le régime suivi jusqu’ici est certainement excellent, mais je le crois peu substantiel. Avant tout, il nous faut vivre, et nous maigrissons avec constance ; la mort ne saurait être loin si, dans le but louable de nourrir nos âmes, nous continuons à négliger de nourrir nos corps. Il serait absurde, songez-y, de tenter un paradis dont nous ne saurions jouir, par la nature même des moyens employés. Une réforme radicale est nécessaire. Le lait est une nourriture très moralisante et d’une digestion facile, ce qui adoucit singulièrement les mœurs ; mais je pense résumer toutes les opinions en disant que nous ne pouvons supporter le lait plus longtemps, que rien n’est plus fade et qu’en fin de compte il nous faut un ordinaire plus varié et moins écœurant.