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ET DU PETIT MÉDÉRIC

tement ses pauvres élèves sur le tombeau desquels elle se trouvait. Son amour, offert à la création entière et que la création refusait, venait de grandir encore, en se fixant sur un seul être. Elle s’abîmait dans cet infini, insoucieuse de la terre, ignorante du mal, comprenant qu’elle obéissait à Dieu et qu’une heure de pareille extase est préférable à mille ans de progrès et de civilisation.

Tous trois, Primevère, Sidoine et Médéric, se taisaient. Autour d’eux, un immense silence, de grandes ombres vagues changeant la campagne en un lac de ténèbres, aux flots lourds et immobiles ; au-dessus de leurs têtes, un ciel sans lune, semé d’étoiles, voûte noire criblée de trous d’or. Là, suivant chacun leurs pensées, ayant le monde à leurs pieds, ils songeaient dans la nuit, assis sur les ruines de l’école modèle. Primevère, mince et souple, avait passé les bras au cou de Médéric, et se laissait aller sur sa poitrine, les yeux grands ouverts, regardant les ténèbres. Sidoine, renversé à demi, honteux et désespéré, cachait ses poings et pensait en dépit de lui-même.

Soudain il parla, et sa voix rude eut un accent d’indicible tristesse.

— Hélas ! dit-il, mon frère Médéric, que ma pauvre tête est vide, depuis le jour où tu l’as emplie de pensées ! Où sont mes loups galeux que j’assommais de si bon cœur, mes beaux champs de pommes de terre qu’ensemençaient les voisins, ma brave stupidité qui me garait des vilains songes ?