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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/322

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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

— Mon mignon, demanda doucement Médéric, regrettes-tu nos courses et la science acquise ?

— Oui, frère. J’ai vu le monde et ne l’ai pas compris. Tu as cherché à me le faire épeler, et tes leçons ont eu je ne sais quoi d’amer qui a troublé ma sainte quiétude de pauvre d’esprit. Au départ, j’avais des croyances d’instinct, une foi entière en mes volontés naturelles ; à l’arrivée, je ne vois plus nettement ma vie, je ne sais où aller ni que faire.

— J’avoue, mon mignon, t’avoir instruit un peu à l’aventure. Mais, dis-moi, dans ce tas de sciences imprudemment remuées, ne te rappelles-tu pas quelques vérités vraies et pratiques ?

— Eh ! mon frère Médéric, ce sont justement ces belles vérités qui me chagrinent. Je sais à présent que la terre, ses fruits et ses moissons, ne m’appartiennent pas ; je mets en doute mon droit de me distraire en écrasant des mouches le long des murs. Ne pouvais-tu m’épargner le terrible supplice de la pensée ? Va, je te dispense maintenant de tenir tes promesses.

— Que t’avais-je donc promis, mon mignon ?

— De me donner un trône à occuper et des hommes à tuer. Mes pauvres poings, qu’en faire à cette heure ? Sont-ils assez inutiles, assez embarrassants ! Je n’aurais pas le courage de les lever sur un moucheron. Nous nous trouvons dans un royaume sagement indifférent aux grandeurs et aux misères humaines ; point de guerre, point de cour, presque point de roi. Hélas ! et nous voici cette ombre de monarque. C’est là sans