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LE CARNET DE DANSE

trace de leur passage, quelques brins d’herbe demi-fanés. C’eût été moquerie : nous faire entendre des rires et des instruments, nous inviter à partager leur joie, puis s’enfuir à notre approche, sans nous permettre le moindre quadrille.

On ne pouvait danser avec des sylphes, Ninette ; avec des paysans, rien n’était d’une réalité plus engageante.

Nous sortîmes brusquement du massif. Nos bruyants danseurs n’eurent garde de s’envoler, et, nullement aux aguets, ne s’aperçurent que longtemps après de notre présence. Ils s’étaient remis à gambader. Le joueur de fifre, qui avait fait mine de s’éloigner, ayant vu briller quelques pièces de monnaie, venait de reprendre ses instruments, et, soupirant de prostituer ainsi la mélodie, battait et soufflait de nouveau. Je crus reconnaître la mesure lente et insaisissable d’une valse. J’enlaçais déjà ta taille et j’épiais l’instant de t’emporter dans mes bras, lorsque tu te dégageas vivement et te mis à rire et à sauter, tout comme une brune et hardie paysanne. L’homme au tambourin, que mes préparatifs de beau danseur consolait, n’eut plus qu’à voiler sa face et à gémir sur la décadence de l’art.

Je ne sais pourquoi, Ninon, je me souvins hier soir de ces folies, de notre longue course et de nos danses libres et rieuses. Puis, ce vague souvenir fut suivi de cent autres vagues rêveries. Me pardonneras-tu de te les conter ? Cheminant au hasard, m’arrêtant et cou-