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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/47

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LE CARNET DE DANSE

rant sans raison, je m’inquiète peu de la foule ; mes récits ne sont que de bien pâles ébauches ; mais tu m’as dit que tu les aimais.

La danse, cette nymphe pudiquement lascive, me charme plutôt qu’elle ne m’attire. J’aime, simple spectateur, à la voir secouer ses grelots sur le monde ; ardente et voluptueuse sous les cieux d’Espagne et d’Italie, se tordre en étreintes et en baisers ; long voilée dans la blonde Allemagne, glisser amoureusement comme un rêve ; et même, discrète et spirituelle, marcher dans les salons de France. J’aime à la retrouver partout : sur la mousse des bois et sur de riches tapis ; à la noce de village et dans les soirées étincelantes.

Mollement renversée, l’œil humide et les lèvres entr’ouvertes, elle a traversé les temps, en nouant et dénouant ses bras sur sa tête blonde. Toutes les portes se sont ouvertes, au bruit cadencé de ses pas, celles des temples et celles des joyeuses retraites ; là parfumée d’encens, ici la robe rougie de vin, elle a frappé harmonieusement le sol ; et, après tant de siècles, elle nous arrive, légère et souriante, sans que ses membres souples et agiles pressent ou retardent la mélodieuse cadence.

Vienne donc la déesse. Les groupes se forment, les danseurs enlacent les jeunes filles. Voici l’immortelle. Ses bras levés tiennent un tambour de basque ; elle sourit, puis donne le signal ; les couples s’ébranlent, suivent ses pas, imitent ses attitudes. Et moi, je