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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/59

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LE CARNET DE DANSE

mante et quêtent pendant de longues heures l’aumône de ton sourire.

Georgette se remit à compter les glands de la couverture. Le bavardage du carnet commençait à l’effrayer. Elle le sentait qui brûlait ses mains ; elle eût voulu le fermer et n’en avait pas le courage.

— Car tu étais reine, continua le démon. Tes dentelles se refusaient à cacher tes bras nus, et ton front de seize ans faisait pâlir ta couronne. Ah ! ma Georgette, tu ne pouvais tout voir, sans cela tu aurais eu pitié. Les pauvres garçons sont bien malades à l’heure qu’il est.

Et il eut un silence plein de commisération. L’enfant qui l’écoutait, souriante et effarouchée, le voyant rester muet :

— Un nœud de ma robe était tombé, dit-elle. Sûrement cela me rendait laide. Les jeunes gens devaient se moquer en passant. Ces couturières ont si peu de soin.

— N’a-t-il pas dansé avec toi ? interrompit le carnet.

— Qui donc ? demanda Georgette en rougissant si fort que ses épaules devinrent toutes roses.

Et, prononçant enfin un nom qu’elle avait depuis un quart d’heure sous les yeux, et que son cœur épelait, tandis que ses lèvres parlaient de robe déchirée :

— Monsieur Edmond, dit-elle, m’a paru triste, hier soir. Je le voyais de loin me regarder, et, comme il n’osait approcher, je me suis levée et je suis allée à lui. Il a bien été forcé de m’inviter.