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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/78

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CELLE QUI M’AIME


VII


Je vis un homme debout devant un des poteaux qui portaient les lampions, et le considérant d’un air profondément absorbé. À ses regards inquiets, je crus comprendre qu’il cherchait la solution de quelque grave problème. Cet homme était l’Ami du peuple.

Ayant tourné la tête, il m’aperçut.

— Monsieur, me dit-il, l’huile employée dans les fêtes coûte vingt sous le litre. Dans un litre, il y a vingt godets comme ceux que vous voyez là : soit un sou d’huile par godet. Or, ce poteau a seize rangs de huit godets chacun : cent vingt-huit godets en tout. De plus, — suivez bien mes calculs, — j’ai compté soixante poteaux semblables dans l’avenue, ce qui fait sept mille six cent quatre-vingts godets, ce qui fait par conséquent sept mille six cent quatre-vingts sous, ou mieux trois cent quatre-vingt-quatre francs.

En parlant ainsi, l’Ami du peuple gesticulait, appuyant de la voix sur les chiffres et courbant sa longue taille pour se mettre à la portée de mon faible entendement. Quand il se tut, il se renversa triomphalement en arrière ; puis croisa les bras, me regardant en face d’un air pénétré.

— Trois cent quatre-vingt-quatre francs d’huile ! s’écria-t-il en scandant chaque syllabe, et le pauvre