Page:Zola - Fécondité.djvu/404

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accepté les risques d’une telle besogne que dans l’espoir d’atteler ensuite à sa fortune la baronne complice, et voilà qu’un hasard imbécile allait peut-être l’envoyer en cour d’assises ! Il n’était même plus certain d’avoir les mille francs que lui avait promis cette femme ; car il connaissait son avarice, elle n’aurait payé que par tendresse pour sa petite amie. C’était, cette fois, la pire des défaites, dans sa rage impuissante à jamais violer la fortune.

Mathieu revint près de Sérafine, qui n’avait point cessé d’étourdir Morange de ses conseils, de ses consolations. Elle lui avait repris les mains, elle le fatiguait des mêmes paroles, son dévouement, son deuil affreux, sa crainte de voir le cher souvenir de la morte tramé dans la boue, s’il n’était point assez raisonnable pour garder l’horrible secret. Elle acceptait sa part de responsabilité, disait combien elle était coupable, parlait de son éternel remords. Mais, grand Dieu ! que tout cela fût enseveli avec la chère petite, qu’il ne poussât sur sa tombe que des fleurs pures, les regrets unanimes de tant de jeunesse, de tant d’innocente beauté ! Et, peu à peu, Morange fléchissait, cédait à sa faiblesse de cœur, tandis que le mot d’assassin qu’il répétait toujours, par une obstination maniaque, s’espaçait, devenait plus rare, n’était plus qu’un murmure bégayé, étouffé dans les larmes. Sa fille traînée en justice, son corps ouvert, étalé devant tous avec sa souillure, les journaux racontant le crime, disant l’ignominie de cette caverne où il la retrouvait, non, non ! il ne pouvait vouloir cela, cette femme avait raison. L’impuissance où il était de la venger acheva de l’anéantir, de le rompre comme si on l’avait roué de coups, les membres meurtris, la tête vide, le cœur froid, battant à peine. Et il retombait à une sorte d’enfance, il joignit les mains, il supplia en petit garçon peureux, avec des balbutiements plaintifs, toute une terreur, toute