Page:Zola - Fécondité.djvu/622

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folie deviendrait contagieuse… Et il n’y a qu’une chose à redouter, c’est que la sagesse ne l’emporte. »

Marianne écoutait, en souriant toujours, tandis que des larmes montaient à ses yeux. Une tristesse attendrie l’envahissait, la blessure encore saignante de son cœur s’était rouverte, au milieu de la joie rare de voir là, réunis autour d’elle, les enfants nés de sa chair, nourris de son lait.

« Oui, murmura-t-elle d’une voix tremblante, cela m’en ferait douze, mais je n’en ai plus que dix. Deux déjà dorment là-bas, dans la terre où ils nous attendent. »

Et cette évocation, faite par la mère, du petit cimetière de Janville, si paisible, de la tombe de famille, dans laquelle, l’un après l’autre, tous les enfants espéraient bien se coucher côte à côte, fut sans effroi, prit une douceur de bonne promesse, au milieu de ces noces rieuses. Le cher souvenir des deux disparus restait vivant, et tous en gardaient une gravité tendre, même dans la gaieté, maintenant que des mois avaient déjà pansé la plaie. N’était-ce point la vie qu’on ne pouvait accepter sans la mort ? Chacun venait faire sa part de besogne, puis allait, sa journée finie, retrouver les aînés dans l’éternel sommeil, où se réalisait la grande fraternité humaine.

Mais, devant ce Beauchêne et ce Séguin qui plaisantaient, tout un flot de paroles montait aux lèvres de Mathieu, il aurait voulu leur répondre, triompher des théories menteuses qu’ils osaient soutenir encore, dans leur défaite. La crainte de la terre trop peuplée, de trop de vie amenant la famine, n’était-ce point imbécile ? On n’avait qu’à faire comme lui, à créer les subsistances nécessaires, chaque fois qu’on mettait un enfant au monde, et il aurait montré Chantebled, son œuvre, le blé poussant sous le soleil, à mesure que poussaient les hommes. Certes, on n’accuserait pas ses enfants d’être