Page:Zola - Fécondité.djvu/623

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venus manger la part des autres, puisque chacun d’eux était né avec son pain. Des millions de nouveaux êtres pouvaient naître, la terre était grande, plus des deux tiers restaient à défricher, à ensemencer, il y avait là une fertilité sans fin pour notre humanité sans limites. Puis, est-ce que toutes les civilisations, tous les progrès ne s’étaient pas produits sous la poussée du nombre ? Seule, l’imprévoyance des pauvres avait jeté les foules révolutionnaires à la conquête de la vérité, de la justice, du bonheur. Chaque jour encore, le torrent humain nécessiterait plus de bonté, plus d’équité, la logique répartition des richesses par des justes lois réglant le travail universel. Et, s’il était vrai que la civilisation fût un frein à la natalité trop grande, ce phénomène précisément pouvait faire espérer l’équilibre final dans le lointain des siècles, lorsque la terre, entièrement peuplée serait devenue assez sage pour vivre dans une sorte d’immobilité divine. Mais il n’y avait là d’ailleurs qu’une spéculation pure devant les nécessités du moment, les nations à refaire, à élargir sans cesse, en attendant la définitive fédération humaine. Et c’était bien l’exemple brave, l’exemple nécessaire, que Marianne et lui donnaient, pour changer les mœurs, et l’idée de morale, et l’idée de beauté.

Déjà, Mathieu ouvrait les lèvres. Tout d’un coup, il sentit l’inutilité de la discussion, devant l’admirable tableau, cette mère entourée d’une telle floraison de vigoureux enfants, allaitant un enfant encore, sous le grand chêne planté par elle. Bravement, elle faisait sa besogne, le monde à continuer, à créer sans fin. Elle était la beauté souveraine.

Et il ne trouva qu’une chose utile et suffisante, ce fut de l’embrasser solidement, devant toute la noce.

« Tiens ! chère femme, tu es la plus belle, et tu es la meilleure. Que toutes fassent comme toi ! »

Alors, Marianne l’ayant aussi glorieusement embrassé,