Page:Zola - Fécondité.djvu/629

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inquiétant qui l’accusait, qui criait la faim. Et, fâché de ne tirer toujours d’elle que des frissons et des sanglots, il se tourna vers Cécile.

« Je sais, vous êtes sa sœur… Dites-lui donc qu’elle est bête de se manger les sangs. Je ne vais pas l’assassiner, bien sûr. C est drôle, le gros plaisir qu’elle a de me voir… Pourtant, je ne fais pas de bruit, je n’ai rien dit en bas à la concierge, je vous jure. »

Puis, sans lui répondre, Cécile s’étant levée pour aller au secours de Norine, il s’intéressa de nouveau à l’enfant, que la peur prenait aussi, très pâle, en voyant ses deux mamans dans le chagrin.

« Alors ce gamin-là, c’est mon frère ? »

Mais, tout d’un coup, Norine, debout, se mit entre l’enfant et lui. L’idée folle l’envahissait d’une catastrophe, d’un écroulement qui devait les broyer. Elle aurait voulu ne pas être méchante, trouver même de bonnes paroles. Et elle achevait de perdre la tête, hors d’elle, dans un soulèvement de révolte, de rancune et d’hostilité.

« Vous êtes venu, je comprends ça… Seulement, c’est si cruel, qu’est-ce que je puis faire ? Après tant d’années, on ne se connaît pas, on n’a rien à se dire… Et puis, vous le voyez bien, je ne suis pas riche. »

Alexandre, d’un regard, fit une seconde fois le tour de la pièce.

« Je vois bien… Et mon père, vous ne pouvez pas me dire son nom ? »

Elle resta saisie, elle blêmit encore, pendant qu’il continuait :

« Parce que, si mon père avait des sous, je saurais le forcer à m’en donner. On ne jette pas les enfants comme ça, au coin des bornes. »

Brusquement, elle avait revu le passé, Beauchêne, l’usine, le père Moineaud, qui venait d’en sortir, infirme, en y laissant son fils Victor. Et elle fut prise d’une prudence