Page:Zola - Fécondité.djvu/681

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Elle ne répondit pas tout de suite. Elle s’était penchée vers le feu, comme pour relever une bûche, voulant en réalité se donner le temps de réfléchir encore. À quoi bon le mettre d’un coup au courant ? Elle serait bien forcée, un jour, de tout lui dire, si elle le voulait entièrement à elle, dans son jeu. Mais rien ne pressait, et elle se crut très habile, en préparant simplement les choses.

« C’est un jeune homme dont le sort m’a touchée, à cause de certains souvenirs… Vous vous rappelez peut-être une fille qui a travaillé ici, oh ! il y a longtemps, une trentaine d’années au moins, Norine Moineaud, une des filles du père Moineaud ? »

Il avait relevé vivement la tête, il la regardait, les yeux élargis, dans le brusque éclair qui venait d’illuminer sa mémoire. Avant même qu’il eût pesé ses paroles, il lâcha tout, en un cri de surprise.

« Alexandre-Honoré, le fils de Norine, l’enfant de Rougemont ! »

Saisie, elle abandonna les pincettes, elle chercha son regard, le fouilla jusqu’au fond de l’âme.

« Ah ! vous savez… Que savez-vous donc ? Il faut me le dire, et ne me cachez rien, parlez, je le veux ! »

Ce qu’il savait, mon Dieu ! il savait tout. Il parla lentement, longuement, comme du fond d’un rêve. Il avait tout vu, tout appris, la grossesse de Norine, l’argent donné par Beauchêne pour qu’elle accouchât chez la Bourdieu, l’enfant porté à l’Assistance, mis en nourrice à Rougemont, d’où, plus tard, il s’était enfui, en volant trois cents francs. Et il savait même que le jeune vaurien, tombé sur le pavé de Paris, y avait mené la plus exécrable des existences.

« Mais qui vous a dit tout cela ? Comment savez-vous tout cela ? » cria-t-elle furieusement, prise d’inquiétude.