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GERMINAL.

non, sans avoir l’air de comprendre ; des camarades racontaient que le capitaine était républicain ; quant à lui, il n’avait pas d’idée, ça lui était égal. Si on lui commandait de tirer, il tirerait, pour n’être pas puni. L’ouvrier l’écoutait, saisi de la haine du peuple contre l’armée, contre ces frères dont on changeait le cœur, en leur collant un pantalon rouge au derrière.

— Alors, vous vous nommez ?

— Jules.

— Et d’où êtes-vous ?

— De Plogof, là-bas.

Au hasard, il avait allongé le bras. C’était en Bretagne, il n’en savait pas davantage. Sa petite figure pâle s’animait, il se mit à rire, réchauffé.

— J’ai ma mère et ma sœur. Elles m’attendent bien sûr. Ah ! ce ne sera pas pour demain… Quand je suis parti, elles m’ont accompagné jusqu’à Pont-l’Abbé. Nous avions pris le cheval aux Lepalmec, il a failli se casser les jambes en bas de la descente d’Audierne. Le cousin Charles nous attendait avec des saucisses, mais les femmes pleuraient trop, ça nous restait dans la gorge… Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! comme c’est loin, chez nous !

Ses yeux se mouillaient, sans qu’il cessât de rire. La lande déserte de Plogof, cette sauvage pointe du Raz battue des tempêtes, lui apparaissait dans un éblouissement de soleil, à la saison rose des bruyères.

— Dites donc, demanda-t-il, si je n’ai pas de punitions, est-ce que vous croyez qu’on me donnera une permission d’un mois, dans deux ans ?

Alors, Étienne parla de la Provence, qu’il avait quittée tout petit. Le jour grandissait, des flocons de neige commençaient à voler dans le ciel terreux. Et il finit par être pris d’inquiétude, en apercevant Jeanlin qui rôdait au milieu des ronces, l’air stupéfait de le voir là-haut. D’un geste, l’enfant le hélait. À quoi bon ce rêve de fra-