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LES ROUGON-MACQUART.

Et il s’en alla, il entra catéchiser les Levaque à leur tour, si haut dans son rêve du triomphe final de l’Église, ayant pour les faits un tel dédain, qu’il courait ainsi les corons, sans aumônes, les mains vides au travers de cette armée mourant de faim, en pauvre diable lui-même qui regardait la souffrance comme l’aiguillon du salut.

Maheu marchait toujours, on n’entendait que cet ébranlement régulier, dont les dalles tremblaient. Il y eut un bruit de poulie mangée de rouille, le vieux Bonnemort cracha dans la cheminée froide. Puis, la cadence des pas recommença. Alzire, assoupie par la fièvre, s’était mise à délirer à voix basse, riant, croyant qu’il faisait chaud et qu’elle jouait au soleil.

— Sacré bon sort ! murmura la Maheude, après lui avoir touché les joues, la voilà qui brûle à présent… Je n’attends plus ce cochon, les brigands lui auront défendu de venir.

Elle parlait du docteur et de la Compagnie. Pourtant, elle eut une exclamation de joie, en voyant la porte s’ouvrir de nouveau. Mais ses bras retombèrent, elle resta toute droite, le visage sombre.

— Bonsoir, dit à demi-voix Étienne, lorsqu’il eut soigneusement refermé la porte.

Souvent, il arrivait ainsi, à la nuit noire. Les Maheu, dès le second jour, avaient appris sa retraite. Mais ils gardaient le secret, personne dans le coron ne savait au juste ce qu’était devenu le jeune homme. Cela l’entourait d’une légende. On continuait à croire en lui, des bruits mystérieux couraient : il allait reparaître avec une armée, avec des caisses pleines d’or ; et c’était toujours l’attente religieuse d’un miracle, l’idéal réalisé, l’entrée brusque dans la cité de justice qu’il leur avait promise. Les uns disaient l’avoir vu au fond d’une calèche, en compagnie de trois messieurs, sur la route de Marchiennes ; d’autres affirmaient qu’il était encore pour deux jours