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Page:Zola - La Débâcle.djvu/158

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— Aussi vrai qu’il y a là une chandelle, je casse la tête au premier qui touche à ma porte !

Alors, la bataille faillit s’engager. Des imprécations montaient, une voix cria qu’il fallait faire son affaire à ce cochon de paysan, qui, comme tous les autres, aurait noyé son pain, plutôt que d’en donner une bouchée au soldat. Et les canons des chassepots se braquaient, on allait le fusiller presque à bout portant ; tandis qu’il ne se retirait même pas, rageur et têtu, en plein dans la clarté de la chandelle.

— Rien du tout ! pas une croûte !… On m’a tout pris !

Effrayé, Maurice s’élança, suivi de Jean.

— Camarades, camarades…

Il abattait les fusils des soldats ; et, levant la tête, suppliant :

— Voyons, soyez raisonnable… Vous ne me reconnaissez pas ? C’est moi.

— Qui, toi ?

— Maurice Levasseur, votre neveu.

Le père Fouchard avait repris la chandelle. Sans doute, il le reconnut. Mais il s’obstinait, dans sa volonté de ne pas même donner un verre d’eau.

— Neveu ou non, est-ce qu’on sait, dans ce noir de gueux ?… Foutez-moi tous le camp, ou je tire !

Et, au milieu des vociférations, des menaces de le descendre et de mettre le feu à sa cambuse, il n’eut plus que ce cri, il le répéta à vingt reprises :

— Foutez-moi tous le camp, ou je tire !

— Même sur moi, père ? demanda tout d’un coup une voix forte, qui domina le bruit.

Les autres s’étant écartés, un maréchal des logis parut, dans la clarté dansante de la chandelle. C’était Honoré, dont la batterie se trouvait à moins de deux cents mètres, et qui, depuis deux heures, luttait contre l’irrésistible envie de venir frapper à cette porte. Il s’était juré de ne jamais