Page:Zola - La Débâcle.djvu/411

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que, se glissant à plat ventre, galopant à quatre pattes, ils regagnaient les taillis, sous le sifflement des balles. Dès lors, ils ne quittèrent plus les bois, l’oreille aux aguets, les mains tâtonnantes. Au détour d’un sentier, ils rampèrent, ils sautèrent aux épaules d’une sentinelle perdue, dont ils ouvrirent la gorge d’un coup de couteau. Ensuite, les chemins furent libres, ils continuèrent en riant et en sifflant. Et, vers trois heures du matin, ils arrivèrent dans un petit village belge, chez un fermier brave homme, qui, réveillé, leur ouvrit tout de suite sa grange, où ils dormirent profondément sur des bottes de foin.

Le soleil était déjà haut, lorsque Prosper se réveilla. En ouvrant les yeux, tandis que les camarades ronflaient encore, il aperçut leur hôte, en train d’atteler un cheval à une grande carriole, chargée de pains, de riz, de café, de sucre, toutes sortes de provisions, cachées sous des sacs de charbon de bois ; et il apprit que le brave homme avait en France, à Raucourt, deux filles mariées, auxquelles il allait porter ces provisions, les sachant dans un dénuement complet, à la suite du passage des Bavarois. Dès le matin, il s’était procuré le sauf-conduit nécessaire. Tout de suite, Prosper fut saisi d’un désir fou, s’asseoir lui aussi sur le banc de la carriole, retourner là-bas, dans le coin de terre, dont la nostalgie l’angoissait déjà. Rien n’était plus simple, il descendrait à Remilly, que le fermier se trouvait forcé de traverser. Et ce fut arrangé en trois minutes, on lui prêta le pantalon et la blouse tant souhaités, le fermier le donna partout comme son garçon ; de sorte que, vers six heures, il débarqua devant l’église, après n’avoir été arrêté que deux ou trois fois par des postes allemands.

— Non, j’en avais assez ! répéta Prosper, après un silence. Encore si l’on avait tiré de nous quelque chose de bon, comme là-bas, en Afrique ! Mais aller à gauche pour