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— Ah ! nom de Dieu, la belle bête ! Ça pèse dans les vingt livres.

— C’est un oiseau que nous avons rencontré, expliqua Loubet de sa voix de loustic, et qui a voulu faire notre connaissance.

Jean, d’un geste, déclara qu’il ne demandait pas à en savoir davantage. Il fallait bien vivre. Et puis, mon Dieu ! pourquoi pas ce régal à de pauvres bougres qui avaient perdu le goût de la volaille ?

Déjà, Loubet allumait un brasier. Pache et Lapoulle plumaient l’oie, violemment. Chouteau, qui était allé chercher en courant un bout de ficelle chez les artilleurs, revint la pendre entre deux baïonnettes, devant le grand feu ; et Maurice fut chargé de la faire tourner de temps à autre, d’une pichenette. En dessous, la graisse tombait dans la gamelle de l’escouade. Ce fut le triomphe du rôtissage à la ficelle. Tout le régiment, attiré par la bonne odeur, vint faire le cercle. Et quel festin ! De l’oie rôtie, des pommes de terre bouillies, du pain, du fromage ! Lorsque Jean eut découpé l’oie, l’escouade s’en mit jusqu’aux yeux. Il n’y avait plus de portions, chacun s’en fourrait tant qu’il pouvait en contenir. Même, on en porta un morceau à l’artillerie qui avait donné la ficelle.

Or, ce soir-là, les officiers du régiment jeûnaient. Par une erreur de direction, le fourgon du cantinier s’était égaré, à la suite du grand convoi sans doute. Si les soldats souffraient, quand les distributions n’avaient pas lieu, ils finissaient le plus souvent par trouver quelque nourriture, ils s’entr’aidaient, les hommes de chaque escouade mettaient en commun leurs ressources ; tandis que l’officier, livré à lui-même, isolé, crevait de faim, sans lutte possible, dès que la cantine faisait défaut.

Aussi Chouteau, qui avait entendu le capitaine Beaudoin s’emporter contre la disparition du fourgon des vivres, ricana-t-il, enfoncé dans la carcasse de l’oie, en le voyant