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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

votre chair elle-même, votre sang et vos os. Vous la protégerez, parce que Dieu ne vous a donné vos bras forts que pour les étendre au-dessus de sa tête, aux heures de danger. Rappelez-vous qu’elle vous est confiée ; elle est la soumission et la faiblesse dont vous ne sauriez abuser sans crime. Oh ! mon cher frère, quelle fierté heureuse doit être la vôtre ! Désormais, vous ne vivrez plus dans l’égoïsme de la solitude. À toute heure, vous aurez un devoir adorable. Rien n’est meilleur que d’aimer, si ce n’est de protéger ceux qu’on aime. Votre cœur s’y élargira, vos forces d’homme s’y centupleront. Oh ! être un soutien, recevoir une tendresse en garde, voir une enfant s’anéantir en vous, en disant : « Prends-moi, fais de moi ce qu’il te plaira ; j’ai confiance dans ta loyauté ! » Et que vous soyez damné, si vous la délaissiez jamais ! Ce serait le plus lâche abandon que Dieu eût à punir. Dès qu’elle s’est donnée, elle est vôtre, pour toujours. Emportez-la plutôt entre vos bras, ne la posez à terre que lorsqu’elle devra y être en sûreté. Quittez tout, mon cher frère…

L’abbé Mouret, la voix profondément altérée, ne fit plus entendre qu’un murmure indistinct. Il avait baissé complétement les paupières, la figure toute blanche, parlant avec une émotion si douloureuse, que le grand Fortuné lui-même pleurait, sans comprendre.

— Il n’est pas encore remis, dit Lisa. Il a tort de se fatiguer… Tiens ! Fortuné qui pleure !

— Les hommes, c’est plus tendre que les femmes, murmura Babet…

— Il a bien parlé tout de même, conclut la Rousse. Ces curés, ça va chercher un tas de choses auxquelles personne ne songe.

— Chut ! cria la Teuse, qui s’apprêtait déjà à éteindre les cierges.

Mais l’abbé Mouret balbutiait, tâchait de trouver les phrases finales.