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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Pardi ! il faut déjeuner, murmura-t-elle. J’ai très-faim.

Et elle s’approcha du prêtre, à pas de loup. Quand elle fut tout près, elle lui prit le cou, elle l’embrassa.

— Bonjour, frère, dit-elle. Tu veux donc me faire mourir de faim, aujourd’hui ?

Il leva un visage si douloureux, qu’elle l’embrassa de nouveau, sur les deux joues ; il sortait d’une agonie. Puis, il la reconnut, il chercha à l’écarter doucement ; mais elle tenait une de ses mains, elle ne la lâchait pas. Ce fut à peine si elle lui permit de se signer. Elle l’emmenait.

— Puisque j’ai faim, viens donc. Tu as faim aussi, toi.

La Teuse avait préparé le déjeuner, au fond du petit jardin, sous deux grands mûriers, dont les branches étalées mettaient là une toiture de feuillage. Le soleil, vainqueur enfin des buées orageuses du matin, chauffait les carrés de légumes, tandis que le mûrier jetait un large pan d’ombre sur la table boiteuse, où étaient servies deux tasses de lait, accompagnées d’épaisses tartines.

— Tu vois, c’est gentil, dit Désirée, ravie de manger en plein air.

Elle coupait déjà d’énormes mouillettes, qu’elle mordait avec un appétit superbe. Comme la Teuse restait debout devant eux :

— Alors, tu ne manges pas, toi ? demanda-t-elle.

— Tout à l’heure, répondit la vieille servante. Ma soupe chauffe.

Et, au bout d’un silence, émerveillée des coups de dents de cette grande enfant, elle reprit, s’adressant au prêtre :

— C’est un plaisir, au moins… Ça ne vous donne pas faim, monsieur le curé ? Il faut vous forcer.

L’abbé Mouret souriait, en regardant sa sœur.

— Oh ! elle se porte bien, murmura-t-il. Elle grossit tous les jours.