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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/307

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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

La Teuse, qui s’était agenouillée pour mieux suivre le pinceau le long de la règle, eut un tressaillement de peur.

— Ah ! c’est Frère Archangias, dit-elle en tournant la tête ; vous êtes donc entré par la sacristie ?… Mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai cru que la voix venait de dessous les dalles.

L’abbé Mouret s’était remis au travail, après avoir salué le Frère d’un léger signe de tête. Celui-ci se tint debout, silencieux, ses grosses mains nouées devant sa soutane. Puis, après avoir haussé les épaules, en voyant le soin que mettait le prêtre à ce que les filets fussent bien droits, il répéta :

— Ce sera trop beau.

La Teuse, en extase, tressaillit une seconde fois.

— Bon, cria-t-elle, j’avais oublié que vous étiez là, vous ! Vous pourriez bien tousser, avant de parler. Vous avez une voix qui part brusquement, comme celle d’un mort.

Elle s’était relevée, elle se reculait pour admirer.

— Pourquoi, trop beau ? reprit-elle. Il n’y a rien de trop beau, quand il s’agit du bon Dieu… Si monsieur le curé avait eu de l’or, il y aurait mis de l’or, allez !

Le prêtre ayant fini, elle se hâta de changer la nappe, en ayant bien soin de ne pas effacer les filets. Puis, elle disposa symétriquement la croix, les chandeliers et les vases. L’abbé Mouret était allé s’adosser à côté de Frère Archangias, contre la barrière de bois qui séparait le chœur de la nef. Ils n’échangèrent pas une parole. Ils regardaient la croix d’argent qui, dans l’ombre croissante, gardait des gouttes de lumière, sur les pieds, le long du flanc gauche et à la tempe droite du crucifié. Quand la Teuse eut fini, elle s’avança triomphante :

— Hein ! dit-elle, c’est gentil. Vous verrez le monde, demain, à la messe ! Ces païens ne viennent chez Dieu que