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LES ROUGON-MACQUART.

lorsqu’ils le croient riche… Maintenant, monsieur le curé, il faudra en faire autant à l’autel de la Vierge.

— De l’argent perdu, gronda Frère Archangias.

Mais la Teuse se fâcha. Et, comme l’abbé Mouret continuait à se taire, elle les emmena tous deux devant l’autel de la Vierge, les poussant, les tirant par leur soutane.

— Mais regardez donc ! Ça jure trop, maintenant que le maître-autel est propre. On ne sait plus même s’il y a eu des peintures. J’ai beau essuyer, le matin, le bois garde toute la poussière. C’est noir, c’est laid… Vous ne savez pas ce qu’on dira, monsieur le curé ? On dira que vous n’aimez pas la Sainte Vierge, voilà tout.

— Et après ? demanda Frère Archangias.

La Teuse resta toute suffoquée.

— Après, murmura-t-elle, ça serait un péché, pardi !… L’autel est comme une de ces tombes qu’on abandonne dans les cimetières. Sans moi, les araignées y feraient leurs toiles, la mousse y pousserait. De temps en temps, quand je peux mettre un bouquet de côté, je le donne à la Vierge… Toutes les fleurs de notre jardin étaient pour elle, autrefois.

Elle était montée devant l’autel, elle avait pris deux bouquets séchés, oubliés sur les gradins.

— Vous voyez bien que c’est comme dans les cimetières, ajouta-t-elle, en les jetant aux pieds de l’abbé Mouret.

Celui-ci les ramassa, sans répondre. La nuit était complétement venue. Frère Archangias s’embarrassa au milieu des chaises, manqua tomber. Il jurait, il mâchait des phrases sourdes, où revenaient les noms de Jésus et de Marie. Quand la Teuse, qui était allée chercher une lampe, rentra dans l’église, elle demanda simplement au prêtre :

— Alors, je puis mettre les pots et les pinceaux au grenier ?

— Oui, répondit-il, c’est fini. Nous verrons plus tard pour le reste.