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LES ROUGON-MACQUART.

pour le Fils, et ceci pour le Saint-Esprit…Ah ! tu es encore debout. Attends, attends !… Ainsi soit-il !

Il lui jeta une volée de petites pierres en façon de mitraille. Jeanbernat atteint à l’épaule, lâcha les cailloux qu’il tenait et s’avança tranquillement, pendant que Frère Archangias prenait dans le tas deux nouvelles poignées, en bégayant :

— Je t’extermine. C’est Dieu qui le veut. Dieu est dans mon bras.

— Te tairas-tu ! dit le vieux en l’empoignant à la nuque.

Alors, il y eut une courte lutte dans la poussière de la route, bleuie par la lune. Le Frère, se voyant le plus faible, cherchait à mordre. Les membres séchés de Jeanbernat étaient comme des paquets de cordes qui le liaient, si étroitement, qu’il en sentait les nœuds lui entrer dans la chair. Il se taisait, étouffant, rêvant quelque traîtrise. Quand il l’eut mis sous lui, le vieux reprit en raillant :

— J’ai envie de te casser un bras pour casser ton bon Dieu… Tu vois bien qu’il n’est pas le plus fort, ton bon Dieu. C’est moi qui t’extermine… Maintenant, je vais te couper les oreilles. Tu m’as trop ennuyé.

Et il tirait paisiblement un couteau de sa poche. L’abbé Mouret, qui, à plusieurs reprises, s’était en vain jeté entre les combattants, s’interposa si vivement, qu’il finit par consentir à remettre cette opération à plus tard.

— Vous avez tort, curé, murmura-t-il. Ce gaillard a besoin d’une saignée. Enfin, puisque ça vous contrarie, j’attendrai. Je le rencontrerai bien encore dans un petit coin.

Le Frère ayant poussé un grognement, il s’interrompit pour lui crier :

— Ne bouge pas ou je te les coupe tout de suite.

— Mais, dit le prêtre, vous êtes assis sur sa poitrine. Ôtez-vous de là pour qu’il puisse respirer.