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LES ROUGON-MACQUART.

j’ai su que tu ne viendrais pas, je suis venue, moi. Je me suis dit : « Je l’emmènerai… » Donne-moi tes mains, allons-nous en.

Et elle lui tendait les mains, comme pour l’aider à se relever. Lui, se signa de nouveau. Il priait toujours, en la regardant. Il avait calmé le premier frisson de sa chair. Dans la grâce qui l’inondait depuis le matin, ainsi qu’un bain céleste, il puisait des forces surhumaines.

— Ce n’est pas ici votre place, dit-il gravement. Retirez-vous… Vous aggravez vos souffrances.

— Je ne souffre plus, reprit-elle avec un sourire. Je me porte mieux, je suis guérie, puisque je te vois… Écoute, je me faisais plus malade que je n’étais, pour qu’on vînt te chercher. Je veux bien l’avouer, maintenant. C’est comme cette promesse de partir, de quitter le pays, après t’avoir retrouvé, tu ne t’es pas imaginé peut-être que je l’aurais tenue. Ah bien ! je t’aurais plutôt emporté sur mes épaules… Les autres ne savent pas ; mais toi tu sais bien qu’à présent je ne puis vivre ailleurs qu’à ton cou.

Elle redevenait heureuse, elle se rapprochait avec des caresses d’enfant libre, sans voir la rigidité froide du prêtre. Elle s’impatienta, tapa joyeusement dans ses mains, en criant :

— Voyons, décide-toi ! Serge. Tu nous fais perdre un temps, là ! Il n’y a pas besoin de tant de réflexions. Je t’emmène, pardi ! c’est simple… Si tu désires ne pas être vu, nous nous en irons par le Mascle. Le chemin n’est pas commode ; mais je l’ai bien pris toute seule ; nous nous aiderons, quand nous serons deux… Tu connais le chemin, n’est-ce pas ? Nous traversons le cimetière, nous descendons au bord du torrent, puis nous n’avons plus qu’à le suivre, jusqu’au jardin. Et comme l’on est chez soi, là-bas, au fond ! Il n’y a personne, va ! rien que des broussailles et de belles pierres rondes. Le lit est presque à