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LES ROUGON-MACQUART.

corps… Oui, j’aurais voulu vivre là, toujours, perdu au fond de cette béatitude.

Elle le regarda, les yeux fixes, tandis qu’une courte flamme s’allumait dans la tendresse de son regard. Elle reprit, soumise encore :

— Je serai comme il plaira à tes caprices. Je faisais de la musique, autrefois ; j’étais une demoiselle savante, qu’on élevait pour tous les charmes… Je retournerai à l’école, je me remettrai à la musique. Si tu désires m’entendre jouer un air que tu aimes, tu n’auras qu’à me l’indiquer, je l’apprendrai pendant des mois, pour te le faire entendre, un soir, chez nous, dans une chambre bien close, dont nous aurons tiré toutes les draperies. Et tu me récompenseras d’un seul baiser… Veux-tu ? un baiser sur les lèvres qui te rendra ton amour. Tu me prendras et tu pourras me briser entre tes bras.

— Oui, oui, murmura-t-il, ne répondant toujours qu’à ses propres pensées, mes grands plaisirs ont d’abord été d’allumer les cierges, de préparer les burettes, de porter le Missel, les mains jointes. Plus tard, j’ai goûté l’approche lente de Dieu, et j’ai cru mourir d’amour… Je n’ai pas d’autres souvenirs. Je ne sais rien. Quand je lève la main, c’est pour une bénédiction. Quand j’avance les lèvres, c’est pour un baiser donné à l’autel. Si je cherche mon cœur, je ne le trouve plus : je l’ai offert à Dieu, qui l’a pris.

Elle devint très-pâle, les yeux ardents. Elle continua, avec un tremblement dans la voix :

— Et je veux que ma fille ne me quitte pas. Tu pourras, si tu le juges bon, envoyer le garçon au collége. Je garderai la chère blondine dans mes jupes. C’est moi qui lui apprendrai à lire. Oh ! je me souviendrai, je prendrai des maîtres, si j’ai oublié mes lettres… Nous vivrons avec tout ce petit monde dans les jambes. Tu seras heureux, n’est-ce pas ?