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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Réponds, dis-moi que tu auras chaud, que tu souriras, que tu ne regretteras rien ?

— J’ai pensé souvent aux saints de pierre qu’on encense depuis des siècles, au fond de leur niche, dit-il à voix très-basse. À la longue, ils doivent être baignés d’encens jusqu’aux entrailles… Et moi je suis comme un de ces saints. J’ai de l’encens jusque dans le dernier pli de mes organes. C’est cet embaumement qui fait ma sérénité, la mort tranquille de ma chair, la paix que je goûte à ne pas vivre… Ah ! que rien ne me dérange de mon immobilité ! Je resterai froid, rigide, avec le sourire sans fin de mes lèvres de granit, impuissant à descendre parmi les hommes. Tel est mon seul désir.

Elle se leva, irritée, menaçante. Elle le secoua, en criant :

— Que dis-tu ? que rêves-tu là, tout haut ?… Ne suis-je pas ta femme ? n’es-tu pas venu pour être mon mari ?

Lui, tremblait plus fort, se reculait.

— Non, laisse-moi, j’ai peur, balbutia-t-il.

— Et notre vie commune, et notre bonheur, et nos enfants ?

— Non, non, j’ai peur.

Puis, il jeta ce cri suprême :

— Je ne peux pas ! je ne peux pas !

Alors, pendant un instant, elle resta muette, en face du malheureux, qui grelottait à ses pieds. Une flamme sortait de son visage. Elle avait ouvert les bras, comme pour le prendre, le serrer contre elle, dans un élan courroucé de désir. Mais elle parut réfléchir ; elle ne lui saisit que la main, elle le mit debout.

— Viens ! dit-elle.

Et elle le mena sous l’arbre géant, à la place même où elle s’était livrée, et où il l’avait possédée. C’était la même ombre de félicité, le même tronc qui respirait ainsi qu’une poitrine, les mêmes branches qui s’étendaient au loin, pa-