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LES ROUGON-MACQUART.

Brusquement, les voix tombèrent. Il y eut un nouveau silence. La cloche sonnait toujours, sans se presser, d’une façon navrée. Le convoi traversa tout le cimetière, se dirigeant vers l’angle que formaient l’église et le mur de la basse-cour. Des vols de sauterelles s’envolaient, des lézards rentraient vivement dans leurs trous. Une chaleur, lourde encore, pesait sur ce coin de terre grasse. Les petits bruits des herbes cassées sous le piétinement, du cortége, prenaient un murmure de sanglots étouffés.

— Là, arrêtez-vous, dit le Frère en barrant le chemin aux deux grandes filles qui tenaient le petit. Attendez votre tour. Vous n’avez pas besoin d’être dans nos jambes.

Et les grandes filles posèrent le petit à terre. La Rosalie, Fortuné et la vieille Brichet s’arrêtèrent au milieu du cimetière, tandis que Catherine suivait sournoisement Frère Archangias. La fosse d’Albine était creusée à gauche de la tombe de l’abbé Caffin, dont la pierre blanche semblait au soleil toute semée de paillettes d’argent. Le trou béant, frais du matin, s’ouvrait parmi de grosses touffes d’herbe ; sur le bord, de hautes plantes, à demi-arrachées, penchaient leurs tiges ; au fond, une fleur était tombée, tachant le noir de la terre de ses pétales rouges. Lorsque l’abbé Mouret s’avança, la terre molle céda sous ses pieds ; il dut reculer, pour ne pas rouler dans la fosse.

Ego sum… entonna-t-il d’une voix pleine, qui dominait les lamentations de la cloche.

Et, pendant l’antienne, les assistants instinctivement jetaient des coups d’œil furtifs au fond du trou, vide encore. Vincent, qui avait planté la croix au pied de la fosse, en face du prêtre, poussait du soulier de petits filets de terre, qu’il s’amusait à regarder tomber ; et cela faisait rire Catherine, penchée derrière lui, pour mieux voir. Les paysans avaient posé la bière sur l’herbe. Ils s’étiraient les bras, pendant que Frère Archangias préparait l’aspersoir.