Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Le cabriolet s’était arrêté, un homme se penchait. Alors, le jeune prêtre reconnut un de ses oncles, le docteur Pascal Rougon, que le peuple de Plassans, où il soignait les pauvres gens pour rien, nommait « monsieur Pascal » tout court. Bien qu’ayant à peine dépassé la cinquantaine, il était déjà d’un blanc de neige, avec une grande barbe, de grands cheveux, au milieu desquels sa belle figure régulière prenait une finesse pleine de bonté.

— C’est à cette heure-ci que tu patauges dans la poussière, toi ! dit-il gaiement, en se penchant davantage pour serrer les deux mains de l’abbé. Tu n’as donc pas peur des coups de soleil ?

— Mais pas plus que vous, mon oncle, répondit le prêtre en riant.

— Oh ! moi, j’ai la capote de ma voiture. Puis, les malades n’attendent pas. On meurt par tous les temps, mon garçon.

Et il lui conta qu’il courait chez le vieux Jeanbernat, l’intendant du Paradou, qu’un coup de sang avait frappé dans la nuit. Un voisin, un paysan qui se rendait au marché de Plassans, était venu le chercher.

— Il doit être mort à l’heure qu’il est, continua-t-il. Enfin, il faut toujours voir… Ces vieux diables-là ont la vie joliment dure.

Il levait le fouet, lorsque l’abbé Mouret l’arrêta.

— Attendez… Quelle heure avez-vous, mon oncle ?

— Onze heures moins un quart.

L’abbé hésitait. Il entendait à ses oreilles la voix terrible de la Teuse, lui criant que le déjeuner allait être froid. Mais il fut brave, il reprit aussitôt :

— Je vais avec vous, mon oncle… Ce malheureux voudra peut-être se réconcilier avec Dieu, à sa dernière heure.

Le docteur Pascal ne put retenir un éclat de rire.

— Lui ! Jeanbernat ! dit-il, ah ! bien ! si tu le convertis