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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Allez, j’ai beau porter un bonnet, avoir soixante ans, être grosse comme une tour, je respecte plus le bon Dieu que ces vermines d’enfant, que j’ai surpris encore, l’autre jour, jouant à saute-mouton derrière l’autel.

Le prêtre continuait à la regarder, refusant de la tête.

— Un trou, ce village, gronda-t-elle. Ils ne sont pas cent cinquante… Il y a des jours, comme aujourd’hui, où vous ne trouveriez pas âme qui vive aux Artaud. Jusqu’aux enfants au maillot qui vont dans les vignes ! Si je sais ce qu’on fait dans les vignes, par exemple ! Des vignes qui poussent sous les cailloux, sèches comme des chardons ! Et un pays de loups, à une lieue de toute route !… À moins qu’un ange ne descende la servir, votre messe, monsieur le curé, vous n’avez que moi, ma parole ! ou un des lapins de mademoiselle Désirée, sauf votre respect !

Mais, juste à ce moment, Vincent, le cadet des Brichet, poussa doucement la porte de la sacristie. Ses cheveux rouges en broussaille, ses minces yeux gris qui luisaient, fâchèrent la Teuse.

— Ah ! le mécréant ! cria-t-elle, je parie qu’il vient de faire quelque mauvais coup !… Avance donc, polisson, puisque monsieur le curé a peur que je ne salisse le bon Dieu !

En voyant l’enfant, l’abbé Mouret avait pris l’amict. Il baisa la croix brodée au milieu, posa le linge un instant sur sa tête ; puis, le rabattant sur le collet de sa soutane, il croisa et attacha les cordons, le droit par-dessus le gauche. Il passa ensuite l’aube, symbole de pureté, en commençant par le bras droit. Vincent, qui s’était accroupi, tournait autour de lui, ajustant l’aube, veillant à ce qu’elle tombât également de tous les côtés, à deux doigts de terre. Ensuite, il présenta le cordon au prêtre, qui s’en ceignit fortement les reins, pour rappeler ainsi les liens dont le Sauveur fut chargé dans sa Passion.

La Teuse restait debout, jalouse, blessée, faisant effort