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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/51

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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

suffit pour faire crever les gens. Entendez-vous, docteur, pas de drogues et pas de prêtres quand je m’en irai ; autrement, nous nous fâcherions… Qu’il entre tout de même, celui-là, puisqu’il est votre neveu.

L’abbé Mouret, interdit, ne trouva pas une parole. Il restait debout, au milieu d’une allée, à examiner cette étrange figure, ce solitaire couturé de rides, à la face de brique cuite, aux membres séchés et tordus comme des paquets de cordes, qui semblait porter ses quatre-vingts ans avec un dédain ironique de la vie. Le docteur ayant tenté de lui prendre le pouls, il se fâcha de nouveau.

— Laissez-moi donc tranquille ! Je vous dis que je me suis saigné avec mon couteau ! C’est fini, maintenant… Quelle est la brute de paysan qui est allé vous déranger ? Le médecin, le prêtre, pourquoi pas les croque-morts !… Enfin, que voulez-vous, les gens sont bêtes. Ça ne va pas nous empêcher de boire un coup.

Il servit une bouteille et trois verres, sur une vieille table, qu’il sortit, à l’ombre. Les verres remplis jusqu’au bord, il voulut trinquer. Sa colère se fondait dans une gaieté goguenarde.

— Ça ne vous empoisonnera pas, monsieur le curé, dit-il. Un verre de bon vin n’est pas un péché… Par exemple, c’est bien la première fois que je trinque avec une soutane, soit dit sans vous offenser. Ce pauvre abbé Caffin, votre prédécesseur, refusait de discuter avec moi… Il avait peur.

Et il eut un large rire, continuant :

— Imaginez-vous qu’il s’était engagé à me prouver que Dieu existe… Alors, je ne le rencontrais plus sans le défier. Lui, filait l’oreille basse, je vous assure.

— Comment, Dieu n’existe pas ! s’écria l’abbé Mouret, sortant de son mutisme.

— Oh ! comme vous voudrez, reprit railleusement Jeanbernat. Nous recommencerons ensemble, si cela peut vous