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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/56

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LES ROUGON-MACQUART.

jupes, secouant cette âpre senteur de verdure qu’elle portait sur elle. Elle avait souri à l’abbé Mouret, sans honte aucune, sans s’inquiéter des regards surpris dont il la suivait. Le prêtre s’était écarté. Cette enfant blonde, à la face longue, ardente de vie, lui semblait la fille mystérieuse et troublante de cette forêt entrevue dans une nappe de soleil.

— Dites, j’ai un nid de merles, le voulez-vous ? demanda Albine au docteur.

— Non, merci, répondit celui-ci en riant. Il faudra le donner à la sœur de monsieur le curé, qui aime bien les bêtes… Au revoir, Jeanbernat.

Mais Albine s’était attaquée au prêtre.

— Vous êtes le curé des Artaud, n’est-ce pas ? Vous avez une sœur ? J’irai la voir… Seulement, vous ne me parlerez pas de Dieu. Mon oncle ne veut pas.

— Tu nous ennuies, va-t’en, dit Jeanbernat en haussant les épaules.

D’un bond de chèvre, elle disparut, laissant une pluie de fleurs derrière elle. On entendit le claquement d’une porte, puis des rires derrière la maison, des rires sonores qui allèrent en se perdant, comme au galop d’une bête folle lâchée dans l’herbe.

— Vous verrez qu’elle finira par coucher dans le Paradou, murmura le vieux de son air indifférent.

Et, comme il accompagnait les visiteurs :

— Docteur, reprit-il, si vous me trouviez mort, un de ces quatre matins, rendez-moi donc le service de me jeter dans le trou au fumier, là, derrière mes salades… Bonsoir, messieurs.

Il laissa retomber la barrière de bois qui fermait la haie. La maison reprit sa paix heureuse, au soleil de midi, dans le bourdonnement des grosses mouches qui montaient le long du lierre, jusqu’aux tuiles.